Pourquoi la lumière artificielle de nuit perturbe l’intégrité nocturne et l’être humain...
Pour bien comprendre l’impact de la lumière artificielle de nuit (LAN) sur l’intégrité nocturne et la santé humaine, il est important d’avoir quelques notions de bases en lien avec la lumière naturelle et la lumière artificielle ainsi que le rôle que celle-ci joue sur les processus biologiques.
Rôle de la lumière naturelle sur les organismes vivants
Depuis des milliards d’années, les organismes vivants ont évolué sous un cycle de lumière naturelle qui fluctue selon l’emplacement géographique et aux rythmes des saisons. Cette fluctuation a conditionné l’apparition de systèmes photosensibles et d’horloges biologiques chez les organismes vivants. Elle a permis à ceux-ci de développer une représentation spatiale de leur environnement et donc de s’y adapter. Par conséquent, la lumière joue un rôle essentiel dans la régulation de nombreux de ces processus biologiques. Plusieurs de ces processus sont intimement liés à des caractéristiques spectrales de la lumières et plus spécifiquement à la couleur de celle-ci appelé sensibilité spectrale.
En effet, la lumière naturelle est composée de l'ensemble des couleurs de l’arc-en-ciel ainsi qu'une partie d'infrarouge et d'ultra-violet qu'on appelle le spectre visible. La résultante percue par l'oeil humain est de couleur jaunâtre. La figure 1 illustre la distribution spectrale de la lumière visible d’un soleil de midi en intensité et en couleur. Celles-ci varient en fonction de l’heure de la journée et sont modulées au fil des saisons (figure 2). On remarque que tôt le matin la partie bleue du spectre est plus importante.
Figure 1. Distribution spectrale de la lumière naturelle, en couleur et en intensité, pour un soleil de midi (@JRoby).
Figure 2. Distribution spectrale de la lumière naturelle en fonction de la journée (@JRoby).
Les rythmes circadiens, la vision, et la photosynthèse sont des processus biologiques régulés, en partie, par la couleur de la lumière. Ils ont leur propre sensibilité spectrale. Dans ses processus, la distribution du spectre de la lumière joue un rôle clef. La figure 3 illustre deux exemples: a- la synchronisation du cycle circadien (ou horloge biologique) chez l’humain et b- la photosynthèse.
Dans le cas de la synchronisation du cycle circadien, c'est un photopigment non-visuel retrouvé dans les cellules ganglionnaires présentes dans la rétine, appelé la mélanopsine, qui contribue à la synchronisation de nos cycles jour/nuit. Notre horloge biologique interne se synchronise 2 fois par jour, au lever et au coucher du soleil. Elle anticipe les changements journaliers et saisonniers afin d’acclimater les systèmes physiologiques et immunologiques. Lorsque stimulée par la lumière, la mélanopsine envoie l’information à la glande pinéale pour inhiber la production de la mélatonine. Cette hormone, aussi appelée hormone du sommeil, est un indicateur de noirceur, secrétée pendant la période nocturne. Certains chercheurs lui attribuent des propriétés antioxydantes, antitumorales et cardioprotectrices. La perturbation du cycle circadien par la lumière peut entrainer des retards de phase qui peuvent mener à des problèmes de santé tels que des troubles de sommeil, d’obésité, de dépression et de certains cancers, et ce à des intensités aussi faibles que celle de l’éclairage d’une chandelle. La mélanopsine (figure 3a) possède une sensibilité spectrale allant de 425nm à 560nm avec un maximum dans la zone des longueurs d’onde bleue soit à ~450nm. Cette particularité fait en sorte que l’œil est plus sensible à cette longueur d’onde pour réguler notre horloge biologique. L’abondance relative du bleu dans la lumière naturelle du matin est donc cruciale pour l’éveil. Il est alors important d’avoir une lumière riche en bleues le matin à notre éveil, mais éviter ce type de lumière le soir avant d’aller dormir.
Figure 3. Deux processus biologiques qui sont régulés par la lumière: les rythmes circadiens et la photosynthèse (@JRoby).
En ce qui concerne la photosynthèse, celle-ci est un processus par lequel la plante transforme l’énergie lumineuse et le carbone atmosphérique en sucres utilisables. Les chlorophylles a et b sont les pigments les plus abondants impliqués dans la photosynthèse. Ils absorbent plus efficacement la partie bleue et rouge du spectre lumineux et beaucoup moins dans le vert. C’est pourquoi les plantes sont vertes. La courbe de distribution spectrale de l’absorption des chlorophylles est illustrée à la figure 3b. On remarque des maximums d’absorption dans la région du bleu et du rouge. La régulation fine du processus de photosynthèse est complexe et mal connue. En plus de s’ajuster aux variations quotidiennes et saisonnières de la lumière naturelle, les chlorophylles ne sont pas les seuls photopigments impliqués dans le processus. Selon les espèces végétales, l'importance relative de chaque photopigment diffère et la plante peut utiliser à différents degrés certaines couleurs et intensités de la lumière disponible dans le spectre du soleil. Les lumières bleues et rouges de forte intensité sont requises pour la photosynthèse tandis que les lumières rouges et infrarouges de faible intensité interviennent dans le contrôle des rythmes biologiques tels que la germination des graines, l'élongation des tiges, l'expansion des feuilles, le développement des fleurs et la dormance. La lumière artificielle ne peut donc remplacer la complexité de la lumière naturelle dans sa variation quotidienne et photopériodique pour le développement complet des végétaux.
Différence entre la lumière naturelle et la lumière artificielle
Depuis l’avènement de l’électricité, les organismes vivants sont influencés, voire perturbés, par la lumière artificielle tant nocturne que diurne. Cette lumière masque les cycles naturels de l’alternance jour/nuit. Elle fait partie intégrante de notre environnement sans que l’on s’attarde à ses effets bénéfiques ou indésirables. La période de luminosité a ainsi augmenté de 4h à 7h par jour en moyenne chez les Occidentaux. Depuis une quinzaine d’années, de plus en plus d’études scientifiques sont menées pour comprendre les impacts de cette surexposition à la lumière artificielle.
Comme la distribution spectrale de la lumière joue un rôle crucial dans nos processus biologiques, il est essentiel d’en connaitre sa composition pour évaluer son impact potentiel. La distribution spectrale nous renseigne sur l’intensité de chaque longueur d’onde de la lumière, c’est-à-dire la quantité et la couleur de chacune des longueurs d’onde exprimée en nanomètre (nm). La figure 4 illustre la distribution spectrale de différents types d’éclairage commun qui nous entoure.
Figure 4. Différence entre la distribution spectrale de la lumière naturelle et celle de la lumière artificielle. Du côté gauche, les lumières artificielles les plus courantes rencontrées à l’extérieur : sodium haute pression (HPS), diode électroluminescente 4000K (DEL) et hydrures métalliques (HM). Du côté droit, celles les plus courantes rencontrées à l’intérieur : fluocompact (FC), diode électroluminescente (DEL), halogène (Halo) et incandescente (INC). Crédit photo et image : Johanne Roby
Tel qu’illustré à la figure 9, les courbes de distribution spectrale de l’éclairage artificiel sont très différentes de celle de la lumière naturelle, en couleur (longueur d’onde) et en intensité (quantité de chaque couleur). Depuis les années 60, la LAN a progressivement évoluée passant de l’incandescent (INC, spectre jaune-orangé) à la lumière sodium haute pression (HPS, spectre orangé) et plus récemment aux diodes électroluminescentes (DEL, spectre enrichi en bleu). Son rendu énergétique et son cycle de vie en font la technologie du futur dans le domaine de l’éclairage. Les DEL blanches sont les plus utilisées (DEL bleues couplées à un phosphore jaune). Ces dernières contiennent une surabondance de rayonnement dans la région du bleu avec un maximum d’intensité à ~450nm. Cette longueur d’onde correspond exactement à celle qui perturbe le cycle circadien chez l’humain (la mélanopsine, figure 3b). La technologie progresse rapidement et les risques sur l’environnement et la santé sont mal connus. Il est nécessaire d’en étudier tous les aspects afin d’informer les autorités et la population des risques associés. Les études d’impact de la pollution lumineuse rapportées dans la littérature proviennent, pour la plupart, d’études effectuées à partir de données impliquant des lumières de type HPS. Les résultats de ces études sont déjà préoccupants. L’apparition des lampadaires avec la technologie des DEL, riche en lumière bleue, devient encore plus préoccupante.
credit image: Par Data: Marc Imhoff/NASA GSFC, Christopher Elvidge/NOAA NGDC; Image: Craig Mayhew and Robert Simmon/NASA GSFC — https://visibleearth.nasa.gov/view.php?id=55167 (image link), Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=233702